Denis Boyer : La première fois que j’ai entendu ta voix, j’ai été frappé par sa ressemblance avec l’eau. Je m’explique, elle semble ce mixte de minéral et d’organique, elle garde une allure guidée par sa texture mais joue sans cesse avec la gravité, et ses dessins profitent de chaque relief de fond pour changer en surface. Acceptes-tu cette comparaison ? Et ressens-tu un rapport « liquide » avec la plastique du texte lorsque tu le lis ?
Frédérique Bruyas : La lecture à voix haute m’a révélé très concrètement le bien-fondé de cette conception ancienne et désormais poétique du corps de l’homme : un microcosme reflétant le grand macrocosme. Les quatre éléments qui rendent la vie possible sur notre planète s’allient subtilement dans la voix humaine qui prononce les mots du livre.
L’air garde son invisibilité mais donne à voir et porte par le souffle le texte comme l’oiseau se laisse guider par les vents. J’aime à dire que nous créons des courants d’air quand nous parlons la langue de l’auteur.
L’eau comme l’air est à ce point vitale que sans elle pas de son. De la salive comme de l’huile pour les rouages d’une machine. Chaque lettre se lie ainsi à la suivante et donne à la langue sa surprenante capacité à prendre les formes. Comme l’eau, elle épouse toutes les formes et devient elle-même une machine de paroles capable de rendre compte du monde qui lui reste pourtant étranger. Courant qui permet la circulation d’un monde à l’autre avec fluidité.
La terre qui seule ancre le monde, l’enracine. Les consonnes sont bien plutôt du côté de la terre. Elles donnent au mot la force de se dresser, de se tenir debout. Mais le sol n’a pas toujours les mêmes qualités. Il peut être meuble, aride, rocailleux et confère à la langue son caractère. La gravité est bien à la racine. Celle qui cherche à se frayer un chemin à travers les multiples strates du sol qui toutes ensemble fondent l’engagement. Il y a bien un entêtement à dire le monde.
Le feu enfin comme l’énergie ultime. Bien précieux qu’il me faut réalimenter sans cesse. Mais ce feu intérieur se nourrit précisément de certaines écritures dont l’intensité me porte à l’incandescence.
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