Visages

Le surgissement de l’autre

Frédérique Bruyas lecture – Jean Diego Membrive Plasticien

Textes de Ivo Andrić, Emmanuel Levinas, Roberto Juarroz, Jacques Rebotier, Christophe Tarkos

Si les portraits abondent dans la littérature, peu d’auteurs ont célébré le visage humain avec l’intensité du romancier serbe Ivo Andrić. Il consacra son recueil de nouvelles Visages (1960) à sa passion pour ce qui représente à ses yeux « la parcelle la plus lumineuse et la plus attirante du monde qui m’entoure ». À la manière d’un portrait kaléidoscopique, Frédérique Bruyas rassemble quelques-uns de ces visages avec la complicité du peintre d’origine espagnole Jean Diego Membrive. Au cours de la lecture-performance, il réalisera au pinceau avec de la gouache rouge sur papier aquarelle les différents visages des spectateurs. Ses œuvres seront exposées pendant la durée de la lecture et offertes à celles et ceux qui le souhaitent.

Un ciel étoilé et un visage humain, jamais on ne se lassera de les contempler. On s’obstine à regarder, et tout cela est du déjà vu mais inconnu, du déjà connu mais nouveau. Un visage, c’est une fleur sur cette plante qu’on appelle un homme. Une fleur vagabonde, qui change d’expression sous l’effet du rire, de l’enthousiasme ou du recueillement, jusqu’à une indicible hébétude ou jusqu’à l’immobilité d’une nature morte.

Aussi loin que je remonte dans ma conscience, le visage humain représente pour moi la parcelle la plus lumineuse et la plus attirante du monde qui m’entoure. Je me rappelle paysages et villes, et je peux à loisir les évoquer dans ma mémoire et les retenir devant moi autant que je le veux, mais les visages humains, observés pendant la veille et le sommeil, se présentent d’eux-mêmes, et leurs passages sous mon regard sont péniblement longs ou douloureusement brefs, ils vivent à mes côtés ou disparaissent au gré de leurs caprices et pour longtemps, et aucun effort de la mémoire ne peut plus les évoquer. Il advient qu’un seul se présente, flotte longuement devant moi et occulte tout l’univers visible, niais il advient par­fois qu’affluent des visages, par centaines, par milliers, comme une avalanche menaçant de submerger et d’emporter ma cons­cience. Et tandis que je regarde villes et paysages au travers de ce que j’ai vécu, et comme une partie de moi-même, mon dialogue et les comptes que je règle avec les visages humains n’ont pas de fin. En eux sont inscrits pour moi tous les chemins du monde, toutes les pensées et toutes les œuvres, tous les désirs et besoins des gens, toutes les capacités de l’homme, tout ce qui le soutient et le rehausse, et tout ce qui l’empoisonne et le tue; tout ce dont rêve l’homme, et qui se réalise rarement ou jamais ne sera, reçoit enfin dans ces visages sa forme, son nom et sa voix.

Isolés ou en procession, des visages humains apparaissent devant moi. Certains surgissent muets, d’eux-mêmes ou sans raison qui me soit claire; et certains apparaissent comme à un signe convenu, ou à une parole, ou à une phrase qui les suit.

Ivo Andrić

Jean Diego Membrive

À mesure qu’elle se déploie, l’œuvre de Jean-Diego Membrive révèle son origine.
Il y a déjà plusieurs années que l’artiste creuse – comme l’archéologue la terre, ou le philosophe son concept – et fait advenir, strate après strate, un monde merveilleux.

https://jeandiego.fr/

 

Durée : 1h